21/08/2007

Les 12.25 ans poussent à réinventer la pub et ses supports

Dans les Echos :

"Difficile de trouver une génération plus à l'aise avec les technologies et plus blasée par la pub que les 12-25 ans. Les annonceurs vont devoir apprendre à les émouvoir.

Imaginons un scénario fictif, dessinant un avenir de la publicité que les créatifs new-yorkais de Madison Avenue soupçonnent à peine, mais que les amoureux de technologies et d'innovations annoncent pour demain matin. A la sortie du collège, Kelly tombe en arrêt devant le portrait de Travis. Derrière sa paroi vitrée, le nouveau modèle d'Abercrombie & Fitch au torse de dieu grec adresse à la jeune fille un sourire complice. Au bas de l'affiche en noir et blanc, une consigne unique :« Appelle-moi ! » Travis. Kelly s'empare de son mobile et compose le code. A l'autre bout de la ligne, la voix de Travis l'accueille, l'invite à laisser son numéro de téléphone et lui promet de la recontacter. Prise au jeu, elle lui laisse un long message. Dix minutes plus tard, son téléphone sonne. C'est Travis ! Il la remercie pour son appel, se déclare enchanté de leur amitié naissante et l'invite sur son profil en ligne personnel pour faire plus ample connaissance et rejoindre le réseau de ses « amis ». Le message est préenregistré mais peu importe, Kelly frémit d'aise et d'impatience. Par SMS, il lui a envoyé l'adresse du site et un identifiant unique qui lui donnera accès au site et à une promotion de 15 % sur son prochain achat chez Abercrombie.

Ce soir-là, avant même de se mettre à ses devoirs, Kelly va rendre visite à son don juan virtuel : Travis à Hawaii, Travis au barbecue du 4 Juillet, Travis à un match de baseball, Travis en séance photo... Le jeune homme est aussi irrésistible et généreux devant la caméra de ses copains que devant le photographe professionnel. Quant à ses entrées de blog, elles dénotent un humour aussi ravageur que son sourire. Sa garde-robe préférée ? Abercrombie bien sûr. Et il n'est pas le seul ! Ses « amis » sont invités à publier la photo de leur « moment Abercrombie » préféré... et à faire connaissance.

Pure science-fiction émanant du cerveau de quelque savant fou expert en marketing ? Pas exactement. « De plus en plus, tout est question de conversation, surtout chez les jeunes, indique Arthur Ceria, ancien directeur créatif de l'agence interactive OgilvyOne et fondateur de la nouvelle agence CreativeFeed. Peu importe la plate-forme technologique ou l'application, seuls compteront les outils capables de déclencher, de stimuler et d'entretenir les conversations d'une marque avec ses consommateurs, ainsi qu'entre les consommateurs autour de cette marque. »

Génération « X-Tasy »
De fait, plus que jamais, la « génération mutante des 12-25 ans » n'est jamais là où on l'attend et brille par son imprévisibilité. « Les gens qui croient en la fiabilité ultime de l'algorithme pour prédire le comportement du consommateur, aux dépends de la créativité et de la dimension émotionnelle, ne bâtiront rien sur le long terme, lâche Chris Matyszczyk, ancien directeur créatif exécutif du groupe Publicis à New York. Or, c'est le type d'approche des développeurs Web : ils croient en la machine parfaite et infaillible. Sauf à apporter la preuve du contraire, bâtir une marque tient encore à la capacité à raconter une histoire et à émouvoir le consommateur. » Encore s'agit-il de découvrir comment « émouvoir le consommateur », autrement dit comment établir un lien avec lui. D'autant que les 9-14 ans n'obéissent pas à la même logique que les 15-25 ans : « Ils jonglent davantage que leurs aînés entre différentes plates-formes et activités, indique Michael Tchong, fondateur de l'agence de stratégies marketing Ubercool. Et ils sont encore plus précoces et plus gourmands qu'eux en matière de technologies. La tendance n'a sans doute pas fini de s'amplifier, même s'il est difficile d'anticiper quel sera le comportement de cette tranche d'âge d'ici à cinq ans. » Certes. Mais à partir de là, quelle tactique mettre en place ? « La génération «X-Tasy» est à la recherche perpétuelle de sensations fortes. Si vous leur offrez l'occasion d'une expérience mémorable, ils se souviendront de vous », poursuit-il. Toutefois, au quotidien, la mise en place de stratégies radicalement révolutionnaires demeure souvent timorée. « Ces gamins ne voudront pas être «amis» avec une Miss Irresistible qui n'a rien, ou pas grand-chose, à leur offrir, s'exclame Ben Bajarin, analyste chez Creative Strategies, faisant implicitement référence au profil créé par P&G sur MySpace pour les lignes de produits dentaires Crest et Scope. Les annonceurs sont encore loin d'avoir épuisé tout le potentiel offert par les téléphones mobiles et les réseaux communautaires où ces adolescents passent leur vie. »

En matière d'expériences fortes, le divertissement surgit alors comme un candidat stratégique de premier plan. Pourtant, la vidéo, en dépit de son explosion sur le Web, n'a pas encore convaincu les annonceurs : les sites actuels sont beaucoup trop larges pour cibler correctement le marché. La multiplication anticipée de sites différenciés, avec des audiences mieux définies, laisse envisager des développements sur ce créneau... mais avec des résultats incertains. « Les êtres humains sont imprévisibles et tout particulièrement cette génération, qui enregistre sa vie et la diffuse en boucle sur Internet, observe Chris Matyszczyk. La distinction entre les différents types de contenu devient floue, ce qui constitue à la fois une opportunité pour les annonceurs et un véritable casse-tête. »

Les jeux, voie d'avenir
Dans ce contexte, les jeux apparaissent comme la voie d'avenir la plus prometteuse. Selon le cabinet d'étude Parks Associates, le marché publicitaire des jeux vidéo devrait croître de plus de 500 % d'ici aux cinq prochaines années, alors qu'il n'était que d'environ 300 millions de dollars en 2006. Une croissance que devrait soutenir la désaffection continue de la télévision et la montée en puissance des jeux en ligne, qui permettent aux annonceurs d'actualiser régulièrement leurs pubs selon un programme de distribution localisée. Google vient d'annoncer son intention d'entrer sur le marché avec le rachat d'Adscape Media pour 23 millions de dollars. Par ailleurs, quelques annonceurs commencent à vendre des jeux vidéo sous leur label. A Noël dernier, par exemple, Burger King a lancé trois jeux pour la console XBox au tout petit prix de 3,99 dollars, exclusivement disponibles dans les restaurants de la chaîne.

De plus en plus, un nouveau concept de marketing développé autour du service commence à émerger dans le discours. « Même les pubs télévisées cesseront d'être passives, grâce à la télévision interactive, indique Scott Randall, PDG de BrandGames, un éditeur de jeux vidéo pour la communication externe et interne de l'entreprise. D'ailleurs, tout sera interactif et présenté comme un service. » Nike, par exemple, pourra offrir une petite application afin que le consommateur enregistre au quotidien ses performances d'exercice physique. Tout comme on peut imaginer que la crème anti-acné de Neutrogena propose un service de protection anti-spams. Mais attention, « les services apportés devront être en rapport direct avec la marque, sous peine de saper le contrat de confiance établi avec le consommateur », souligne Ben Bajarin.

Prolifération de mondes virtuels
Au confluent du divertissement et du service, les mondes virtuels apparaissent alors comme l'horizon le plus convoité... mais aussi le plus mystérieux. A défaut d'être concluantes, les expérimentations d'une vingtaine d'annonceurs dans Second Life apportent alors quelques indices sur les stratégies à venir. « On peut rêver que Pontiac, par exemple, offre aux nouveaux arrivants son propre service d'orientation avec, en bonus, une conduite d'essai sur son circuit », déclare Philip Rosedale, PDG de Linden Lab, l'éditeur de Second Life basé à San Francisco. Plus que jamais, l'imagination est au pouvoir et, d'éternel cliché, l'expression est en voie de devenir une stratégie concrète... et payante."

Les Echos du 14.08.07 LAETITIA MAILHES

Les commentaires sont fermés.