17/12/2007

Don Tapscott - le gourou du Net - nous parle du nouveau modèle de l'entreprise collaborative

A lire et méditer - quelques bribes sur la révolution de nos modèles économiques.

Article paru dans Ecran de Libération - 17.12.07

Et plus sur le site : http://www.wikinomics.com/


« C’est l’avènement du cinquième pouvoir, celui des internautes »Débat. Les réseaux génèrent-ils une nouvelle économie dans les entreprises ?

par Christophe Alix

Les nouvelles technologies ont-elles un impact sur les méthodes et stratégies des entreprises ? Pour le gourou du Net Don Tapscott, elles les bouleversent carrément. Un site invite à prolonger le débat de façon collaborative.

Vous dites que l’économie collaborative ou « wikinomie » constitue une mutation du même type que la révolution industrielle au XIXe siècle…
Sous l’impact de la globalisation et des nouvelles technologies, un vieux modèle industriel est en train de disparaître et un nouveau d’émerger. Ce qui disparaît ? Une organisation de la production des richesses dans les entreprises basée sur la hiérarchie, le contrôle et une transmission verticale des tâches dans laquelle tout le monde est le subordonné de quelqu’un : l’employé par rapport au manager, le vendeur par rapport au consommateur, le producteur par rapport au distributeur ou aux sous-traitants… Ce qui apparaît ? De nouveaux modèles collaboratifs qui s’appuient sur des communautés et reposent sur une coproduction et une cocréation de richesses.

En quoi ces réseaux révolutionnent-ils l’économie ?
Ils ne se limitent plus à ce que l’on a appelé au tournant du XXIe siècle la « nouvelle économie en ligne ». Ils ne servent plus seulement à produire des contenus, comme l’encyclopédie Wikipedia, ou des logiciels, comme le système d’exploitation libre Linux. Les réseaux bouleversent des pans entiers de l’économie, dans l’automobile ou l’aéronautique, la recherche médicale et le secteur pharmaceutique, les cosmétiques, etc. On peut créer ainsi des fonds communs de placement, produire de nouveaux jeux ou des motos bon marché en Chine. Ce modèle de coproduction va s’imposer partout.

Un exemple d’application concrète de la « wikinomie » dans une entreprise ?
C’est l’histoire d’une société d’extraction minière gérant une mine d’or au Canada qui m’a donné l’idée d’écrire un livre. Elle s’appelle Goldcorp, et à la fin des années 90 son gisement paraissait épuisé, sa fermeture inévitable. Son jeune patron, Rob McEwen, qui venait d’assister à une conférence sur Linux à Boston, eut alors une idée folle et risquée. Il décida de publier sur le Net toutes les données géologiques ultra secrètes de Goldcorp, et invita un millier de prospecteurs virtuels sur la Toile à trouver de nouvelles « cibles » d’extraction en leur promettant un demi-million de dollars. En quelques mois, cette méthode open source a permis de trouver plus d’or que Goldcorp n’en a jamais rêvé et d’économiser deux à trois ans de prospection. McEwen était entré dans cette « wikinomie » qui demain générera l’innovation et la production de richesses.

Ce partage de la propriété intellectuelle est considéré par beaucoup comme une des pires menaces pesant sur l’entreprise.
L’idée reçue est qu’il faut préserver à tout prix ce précieux actif et envoyer un bataillon d’avocats dès que l’on y touche. Cacher son jeu pour rester compétitif, en somme. Mais cela ne marche plus. Les majors du disque sont en train de mourir à force de camper sur ce modèle, et partout les vieux monopoles en matière de savoir industriel s’écroulent. Je ne dis pas qu’il faut tout partager, mais au moins une partie de sa propriété intellectuelle. Prenez le cas d’IBM. Voilà une multinationale structurée qui estime avoir économisé 900 millions de dollars [environ 625 millions d’euros, ndlr] par an en renonçant - en partie - à ses systèmes et en faisant le pari de s’appuyer sur des logiciels libres produits par d’autres. Mais cela suppose d’adopter de nouveaux modèles mentaux et d’explorer de nouvelles voies dans la recherche de création de valeur.

Les consommateurs, que vous rebaptisez « prosomateurs », participent aussi à ce mouvement de cocréation, de coproduction…
C’est l’avènement d’un cinquième pouvoir, celui des internautes ! Amazon réalise près de 30 % de son chiffre d’affaires via un million de vendeurs tiers rétribués sur le Net. BMW invite ses clients à participer au design intérieur de ses modèles. Mais l’exemple le plus spectaculaire est celui de Lego, reconverti dans les jeux high-tech. Lancée en 1998, l’expérience Mindstorms, qui consiste à donner la possibilité aux utilisateurs de concevoir leurs propres robots en ligne avec des briques programmables, a été un tel succès que Lego l’a étendue à ses kits plus classiques. Ces clients n’achètent plus les modèles de Lego, mais leurs propres modèles, accessibles à tous.

Ce nouveau modèle d’entreprise, externalisé, ne signe-t-il pas la fin d’un modèle qui avait le mérite d’organiser socialement le travail ?
Si vous voulez dire que l’on va vers un monde plus risqué, que toute personne déconnectée et réfractaire à cette « wikinomie » n’y survivra pas à terme, oui. Tout converge dans ce sens. Mais c’est aussi un monde dans lequel les opportunités sont démultipliées. J’en veux pour preuve que les entreprises qui se sont ouvertes à ces modèles réussissent mieux.

Le Web 2.0 est déjà dépassé, en somme…
Cette économie collaborative va au-delà du boom actuel des réseaux sociaux en ligne. On va passer d’un monde de réseautage sur la Toile, de nouvelle sociabilité en ligne, à une production sociale et collaborative. Les entreprises ont intérêt à s’y préparer dès maintenant.

Les commentaires sont fermés.