23/05/2007
Ce qui change quand les marques deviennent médias ...
Quand les marques deviennent médias
Les Echos - 10/05/07
"Engagées dans la production de leur propre contenu éditorial, les marques remettent indirectement en cause le « business model » des agences.
Pour son nouveau rasoir à trois lames, Bic a fait le choix de consacrer l'intégralité de son effort de communication média à Internet tout en misant sur 200 blogueurs influents.
Publicis reprenant la structure de communication interactive Digitas pour 1,3 milliard de dollars, TBWA mariant sa filiale de pub BDDP & Fils à l'agence éditoriale Textuel pour créer BDDP Unlimited, afin de mettre à la disposition des annonceurs du contenu « on » et « off line »... Des innovations-gadgets ? Disons plutôt l'une des manifestations de la révolution souterraine que les marques de grande consommation effectuent sans tapage, mais de façon radicale depuis deux ans, en posant les fondations de leurs propres médias : sites, magazines, systèmes de communication mobile, voire chaînes de télévision... Tantôt en étant associées aux agences, tantôt en marchant, sans état d'âme, sur leurs brisées, elles n'ont pas hésité à bousculer le classique ordonnancement des médias et des recettes publicitaires. Avec, en filigrane bien sûr, la question du devenir du « business model » de ces agences.
Sous-ensemble culturel
Petit à petit, les contours du nouveau paysage commencent à transparaître. On a vu ainsi Dior, Mercedes, Jean-Paul Gaultier, Lancôme, L'Oréal Paris, Lacoste... investir Second Life en « éditorialisant » savamment leur présence. Avec un objectif en ligne de mire : mettre en exergue une différence et une valeur ajoutée. Témoin de cette évolution, Bouygues Telecom, avec la création de son blog Giik.com, ou encore Coca-Cola. Après avoir déjà tâté du blog avec « Entre dans le jeu », le soft-drink a effectué un appel à candidatures visant à imaginer les formes que pourrait prendre son intégration dans l'univers de Second Life. Ce programme aboutira, fin septembre, par la sélection du meilleur projet et sa concrétisation. De façon identique et sur le même Second Life, la marque Philips a créé un laboratoire virtuel de design.
« Le temps est révolu où l'entreprise n'avait affaire aux médias qu'au sens marketing du terme, analyse de son côté Jean-Marie Dru, président de TBWA Worldwide, dans son dernier livre, « La Publicité autrement » (*). Aujourd'hui, la marque va plus loin, elle ne se contente plus de promettre la simple satisfaction des besoins existants. Elle produit tout un sous-ensemble culturel. Il devient dès lors légitime de porter sur elle le même regard critique que sur un organe de presse. » A qui la faute ? « Aux nouvelles technologies qui leur permettent d'entrer directement en relation avec leurs publics », répond du tac au tac Jean-Marie Dru. Avec, aux manettes, un grand « facilitateur » : l'Internet haut débit qui leur a offert la possibilité de transformer leur site Internet en Web TV. « Il aura fallu peu de temps aux marques pour saisir avec quelle facilité il devenait possible, avec les nouvelles technologies, de produire du contenu et de diffuser de l'information de manière immédiate et peu coûteuse, aujourd'hui sur le Web, demain sur le mobile », ajoute Georges Lewi, spécialiste des marques et directeur du BEC Institute. Les deux médias étant amenés à fonctionner de pair demain. « Nous sommes convaincus qu'il existe des synergies à trouver entre les deux, la génération des 12-30 ans consommant simultanément Web et mobile, déclarait Frédéric Boudet, responsable communication et Boutique Département Internet de Bouygues Telecom, lors de la table ronde organisée le 26 avril par MSN sur « l'e-publicité nouvelle génération ». Une manière implicite de faire référence à toutes les collaborations potentielles entre TF1 et l'opérateur de télécoms.
« Notre blog Giiks.com s'adresse aux fans de technologies et de nouveaux médias, poursuivait-il. Mais ce faisant, d'un travail de publicitaires nous sommes passés à celui de journalistes : plus de 350 liens pointent vers Giiks.com, parfois attirés par des informations que nous publions avant d'autres. » Il ne faisait ainsi que souligner l'irruption d'une autre révolution, autrement plus dérangeante : tout le monde - ou presque - est aujourd'hui en mesure de revendiquer le statut de média. Et le spectre s'élargit désormais des marques au consommateur, devenu un « mini-média » à lui tout seul grâce à sa possibilité de produire du contenu éditorial, en passant par les FAI. « Autrefois, «Le Monde» avait pour concurrents «Le Parisien» et «Libération» », intervient Thierry Maillet, expert, auteur de « Génération participation ». « Désormais, il se trouve face à Google et Yahoo! » Voire MSN, « positionné à présent dans la logique de construction d'un véritable média, souligne Alexandre Michelin, directeur éditorial et des contenus de MSN.fr, qui énonce les récentes initiatives du premier portail français : la mise sur orbite, avec MSN News, de MSN Présidentielles, visité par 2.680.000 utilisateurs en mars et 3.458.000 en avril, la création, en mars, du blog du chanteur Christophe Willem, vainqueur, l'an dernier, de « La nouvelle star » sur M6, le partenariat établi avec la République des Blogueurs...
Garantir de l'audience
Reste toutefois « la » grande question qui se pose déjà à tous les grands médias : comment les agences de communication, traditionnellement productrices de contenu pour les marques, parviendront-elles à gérer ce virage ? Nicolas Bordas, président du groupe TBWA-France, s'affiche optimiste : « Selon moi, ce besoin qu'ont les marques d'éditorialiser du contenu n'a rien de nouveau, en particulier pour les marques de luxe, productrices de valeur immatérielle. L'innovation, c'est que Internet accélère le phénomène en offrant des moyens inédits. Or, les entreprises ne peuvent négocier cette mutation qu'en s'appuyant sur des compétences et des structures de communication maîtrisant déjà la culture de la marque et connaissant parfaitement son code génétique. Je n'ai donc aucune inquiétude pour les agences, dont c'est le métier. »
Mais le son de cloche est sensiblement différent chez Euro RSCG C&O (Havas) ; dont le président, Laurent Habib, observe une double fragilisation des médias et des agences classiques : « Les médias sont triplement menacés par l'explosion d'Internet, le «multitasking» (consulter plusieurs médias à la fois, NDLR) et le fait que les individus se dirigent de plus en plus vers des médias tels que YouTube ou Dailymotion, c'est-à-dire vers des contenus qu'ils fabriquent eux-mêmes. On n'a donc plus affaire à 100, voire à 1.000 médias, mais à une infinité de médias se concurrençant les uns et les autres et faisant courir un véritable risque aux agences. »
Or, point de salut, selon lui, pour ces dernières, si elles ne parviennent pas à mettre en place un nouveau modèle économique : « La mutation qui s'amorce est équivalente au passage de l'argentique au numérique pour Kodak, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une mutation d'une importance totale, impossible à réussir si l'on se contente de «bidouiller» des filiales ou des départements nouveaux. » C'est donc l'ensemble du processus qu'il s'agit de revoir, en sachant passer de l'ancien modèle - la prestation traditionnelle de conseil - à un nouveau, consistant à maîtriser non seulement la scénarisation d'une idée et la production d'un contenu mais aussi à garantir une audience globale. « Ce qui nous amène en définitive à développer une approche d'intégration totale et une réflexion très connexe de la culture médias », conclut-il."
VÉRONIQUE RICHEBOIS
14:00 Publié dans 3.1 Blogs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marques, médias