12/05/2007

Les blogs - de la liberté de la presse au droit à la parole

Dans nos sociétés démocratiques, les débats s’enflamment encore autour de la notion de liberté de la presse. Il s’agit de la défendre, de la revendiquer, de l’aménager, de la justifier, de la lisser parfois.

Vu de la blogosphère, le sujet a-t-il encore un sens ? Ici, l’information se passe d’autorisations et de décrets : elle se contente de circuler. Les blogueurs sont davantage conscients de leur possibilité de prendre la parole que de leur droit ou de leur légitimité à le faire. Il n’y a pas de réelles revendications à se saisir de ce nouvel espace. « Don’t hate the media, become the media » disait Jello Biafra . L’invitation est ici simplement mise en pratique. Un internaute égal une voix, et il n’y a plus que ça qui soit indiscutable. L’information qui avait des airs de cours magistral devient une sorte de vaste conversation.

La première conséquence est l’entorse qui peut être faite au droit : le droit à la personne, le droit à la vie privée, le droit à l’image, à la dignité à la personne humaine… On pourrait aussi citer toutes les notions de la propriété intellectuelle (droits d’auteur…) qui sont mises à mal et spontanément réévaluées. Sur la blogosphère, les auteurs se laissent piller volontiers, on se cite, on s’approprie les formules, on invite même ses lecteurs à collaborer à l’écriture. Autant le législateur se régale dans la vie réelle de subtilités et d’exigences, autant l’espace virtuel reste une zone floue où les règles se redéfinissent.

Pour plagier les propos d’Henri Rochefort , « les internautes sont plusieurs millions de sujets, c’est sans compter les sujets de mécontentements ». La formule prend ici tout son sens. Chaque internaute devient un potentiel multiple de prise de paroles. Dans cette nouvelle distribution, il n’est plus de Goliath qui ne puisse trouver son David. Si autrefois, les médias étaient identifiables, peut-on dire orchestrables, la foule des internautes rend vaine toute tentative de maîtrise. On ne peut savoir d’où le coup peut venir, à quel moment il va partir et quelles conséquences il aura. Pas une institution n’est à l’abri – et les entreprises et leurs marques sont dans la cible. Aujourd’hui l’information peut vous surprendre – vous prendre à revers – émanant d’un concurrent – d’un salarié déchu – d’un consommateur déçu.

Les exemples se multiplient :

En septembre 2004, sur le forum Internet bikeforums.net, une contribution expliquait comment une serrure de la marque Kryptonite pouvait être ouverte à l’aide d’un simple stylo à bille. Un peu plus tard, une vidéo montrait l’expérience. Le démenti de l’entreprise ne pu endiguer la propagation de cette histoire. Dix jours plus tard, Kryptonite fut contraint de proposer un échange gratuit. Cela représentait pour cette entreprise un coût de 10 millions de dollars pour un chiffre d’affaires annuel de 25 millions de dollars.

Début septembre 2005, Stéphane lance « Freepouille », un blog pour raconter au quotidien ses déboires avec son fournisseur d’accès Internet. En un mois, son blog génère plus de 1500 visites hebdomadaires – et cela dure jusqu’à ce qu’enfin, fin novembre, une solution soit apportée à son problème. Un an plus tard, son blog ne contient plus qu’une unique page de conseil : « J'avais écrit ce blog pour faire pression sur Free et d'une certaine façon, cela a porté ses fruits […] Mais plutôt que d'effacer complètement ce blog, je préfère ne laisser en ligne que cette note, dans laquelle je vais essayer de faire partager ma - petite – expérience… ».

Au dernier trimestre 2006, peu après son lancement, Nintendo recommande aux utilisateurs et propriétaires de « wii », leur dernière console de jeux, qui ont cassé la lanière de se rendre chez le revendeur le plus proche pour l’échanger gratuitement contre une plus robuste. Le blog communautaire « wiihaveaproblem » a accéléré cette décision. Les photos assez spectaculaires montrant des écrans de TV cassés, des bris de carreaux, des visages tuméfiés par un envoi intempestif de « wiimote » commençaient à circuler dans les médias traditionnels.

Matthew Peterson, fan d’Ipod, fut déçu de constater à quelle rapidité l’écran de celui-ci se rayait. Après avoir contacté Apple, on lui expliqua que ce défaut n’était pas couvert par la garantie et qu’il était donc impossible de l’aider. Matthew s’irrita et fit état de sa mauvaise humeur sur un site communautaire de musique. Bientôt des centaines de contributions de clients mécontents vinrent s’ajouter à son post. Apple se vit contraint de réagir : l’entreprise déclara qu’elle remplacerait gratuitement les appareils défectueux. A la suite de cette annonce, sa valeur boursière chuta de 2 milliards de dollars.

Quelque soit la marque mise en cause et la nature du problème, on constate plusieurs points communs :

- La façon dont un individu peut fédérer de véritables communautés,
- La rapidité avec laquelle les faits s’enchaînent,
- La fragilité révélée des entreprises.

Les fervents du « consumers centric » sont servis – les défenseurs du « one to one » en ont pour leurs recommandations … les marketeurs en avait parlé … il est né … le consom’acteur. Mu par son intérêt propre, sans concession, ingérable, il s’impose dans le paysage des marques. L’internaute vient grossir les rangs des personnalités auxquelles l’entreprise se doit d’être redevable. Les rapports sont bels et bien, si ce n’est renversés, au moins très largement renégociées.

22:40 Publié dans 3.1 Blogs | Lien permanent | Commentaires (0)

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